Pourquoi la géopolitique est-elle une compétence indispensable en entreprise ?



Pourquoi la géopolitique est-elle une compétence indispensable en entreprise ?

Conférence de M. Fiorina, le 14 octobre 2021


Lors de la première conférence de l’IGLB de cette année, Jean-François Fiorina, Directeur général adjoint de Grenoble Ecole de Management, a partagé avec nos étudiants des classes préparatoires ECG/ECS ses réflexions sur les enjeux de la géopolitique dans l’entreprise (« corporate geopolitics »), où cette « nouvelle culture générale du monde moderne » s’est imposée comme une compétence indispensable et recherchée.

En définissant la géopolitique comme une grille de lecture du monde, M. Fiorina a présenté une riche série d’exemples très éclairants sur les tensions et les rivalités de puissances que les entreprises doivent connaître, évaluer, dont elles doivent mesurer les risques. Ainsi, en évoquant le cas des semi-conducteurs, M. Fiorina a notamment abordé l’enjeu de la bataille du savoir (en soulignant tout particulièrement l’importance des investissements dans la R&D) mais aussi la question de la souveraineté nationale à travers la division des processus de production (chaîne de valeur) à l’échelle mondiale. Les entrepreneurs, les décideurs économiques doivent maîtriser ces paramètres pour opérer les meilleurs choix : par exemple, en ce qui concerne les chaînes de valeur, l’heure est aujourd’hui à la régionalisation, au raccourcissement et à la relocalisation, tant pour accompagner la transition écologique que pour faire face aux menaces extérieures.

Monsieur Fiorina a aussi insisté sur les nouveaux instruments de puissance des grands Etats, comme la Chine et les Etats-Unis, que les entreprises ne peuvent aujourd’hui méconnaître. Par exemple, les Etats-Unis déploient tout un arsenal d’armes juridiques qui leur confère une force de frappe considérable, de l’extraterritorialité des lois (notamment pour les entreprises qui utilisent le dollar) au Cloud Act (qui permet aux autorités américaines d’obtenir, de la part des opérateurs télécoms et des fournisseurs de services de Cloud computing, des informations stockées sur leurs serveurs), en passant par les lois anti-corruption, le comité sur les investissements étrangers ou la réglementation ITAR sur le trafic d’armes. Certaines grandes entreprises évitent même d’envoyer leurs dirigeants dans des réunions aux Etats-Unis, de peur de voir leurs cadres stratégiques incarcérés (cela s’est passé pour Frédéric Pierucci, cadre supérieur d’Alstom, arrêté en 2013 car son entreprise était sous le coup d’une loi extraterritoriale pour un contrat passé en Indonésie). Notre conférencier n’a pas manqué de rappeler également l’importance de la riposte chinoise, qui s’appuie sur un soft power de plus en plus assumé par l’Empire du Milieu (installation d’instituts Confucius, production de normes, organisation d’événements sportifs comme les Jeux Olympiques, développement de productions cinématographiques…) et sur une politique d’investissements tous azimuts parfois très agressive.

M. Fiorina a enfin souligné l’interdépendance des risques qui caractérise le monde aujourd’hui, et qui rend précieuse la « compétence géopolitique » dans les entreprises, qui peuvent rechercher des acheteurs ayant une fine connaissance des circuits internationaux, des experts en analyse des risques-pays ou des cadres capables d’organiser des déplacements dans des régions sensibles, entre autres exemples. De nombreux métiers restent encore à inventer, qui nécessiteront de maîtriser cette culture géopolitique permettant d’analyser les marchés et d’aider à la décision stratégique, d’anticiper et de prévoir des situations, de comprendre l’autre et d’affirmer son « leadership ».
 



Les écoles de commerce et de management, et notamment Grenoble Ecole de Management qui est pionnière dans cette voie, offrent d’ores et déjà des formations originales en géopolitique. GEM propose ainsi une spécialisation appelée « Géolab » qui permet aux étudiants qui le souhaitent, 2 jours par semaine (pour un total de 120 heures), de simuler les travaux d’un « think tank » et les activités d’une cellule de crise. Il existe aussi des doubles parcours, par exemple avec l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) et avec l’Institut d’Etudes Politiques (IEP) de Grenoble.

Nous remercions chaleureusement M. Fiorina pour cette conférence très riche, très stimulante, qui a suscité un intérêt très vif de nos étudiants, qui n’ont pas été avares de questions !



Ci-dessous, Monsieur Fiorina (à droite), avec Monsieur Vasquez (au centre), professeur de géopolitique en CPGE ECG/ECS au Lycée Louis Barthou et vice-président de l'IGLB, et Monsieur Bourdat (à gauche), président de l'amicale des anciens élèves du lycée Louis Barthou.