BLEU SANG - Voyage dans la genèse d'un tableau



BLEU SANG - Voyage dans la genèse d'un tableau

Une contribution au projet "Textes, Langues & Langages"

Projet proposé par Jacques Brunet-Georget

Parcours conçu par Nina COUSTÈRE, Lola BASTI-GARNIER,

Emilie FROMENT-RIGAIL et Anthéa DUBES 

(Hypokhâgne A/L 2024-2025)


            Dans le cadre d’un cours semestriel sur la poésie intitulé « BLEU SANG », j’ai proposé cette année à la classe d’Hypokhâgne un projet créatif prenant pour base ces deux supports : 

  • le poème « Les mains de Jeanne-Marie », composé par Arthur Rimbaud en février 1872
  • un tableau du peintre français Jacques Monory, tiré de la série Velvet Jungle (n°10, 1970) 

            Voici le tableau de Jacques Monory :



            Dans la série « Velvet jungle », le bleu, si caractéristique de la manière de Monory, sert à introduire ce qu’il peut y avoir de plus glaçant dans la réalité tout en permettant de le mettre à distance. L’apparence trompeusement sereine laisse poindre un sentiment de danger imminent car tout peut basculer d’un instant à l’autre : « Cet insupportable événement de la mort, déclare le peintre, j’essaie de l’agrémenter du faste de la tragédie, le colorer de la froideur du roman noir, du thriller bleuté, du délire glacé d'un romantisme dérisoire. »

            Le poème « Les mains de Jeanne-Marie », d’Arthur Rimbaud, est considéré habituellement comme un hommage aux femmes ayant participé au mouvement insurrectionnel de la Commune, à Paris, en 1871 :

Jeanne-Marie a des mains fortes,

Mains sombres que l’été tanna,

Mains pâles comme des mains mortes.

— Sont-ce des mains de Juana ?



Ont-elles pris les crèmes brunes

Sur les mares des voluptés ?

Ont-elles trempé dans des lunes

Aux étangs de sérénités ?


Ont-elles bu des cieux barbares,

Calmes sur les genoux charmants ?

Ont-elles roulé des cigares

Ou trafiqué des diamants ?


Sur les pieds ardents des madones

Ont-elles fané des fleurs d’or ?

C’est le sang noir des belladones

Qui dans leur paume éclate et dort.


Mains chasseresses des diptères

Dont bombinent les bleuisons

Aurorales, vers les nectaires ?

Mains décanteuses de poisons ?


Oh ! quel Rêve les a saisies

Dans les pandiculations ?

Un rêve inouï des Asies,

Des Khenghavars ou des Sions ?


− Ces mains n’ont pas vendu d’oranges,

Ni bruni sur les pieds des dieux :

Ces mains n’ont pas lavé les langes

Des lourds petits enfants sans yeux.


Ce ne sont pas mains de cousine

Ni d’ouvrières aux gros fronts

Que brûle, aux bois puant l’usine,

Un soleil ivre de goudrons.


Ce sont des ployeuses d’échines,

Des mains qui ne font jamais mal,

Plus fatales que des machines,

Plus fortes que tout un cheval !


Remuant comme des fournaises,

Et secouant tous ses frissons,

Leur chair chante des Marseillaises

Et jamais les Eleisons !


Ça serrerait vos cous, ô femmes

Mauvaises, ça broierait vos mains,

Femmes nobles, vos mains infâmes

Pleines de blancs et de carmins.


L’éclat de ces mains amoureuses

Tourne le crâne des brebis !

Dans leurs phalanges savoureuses

Le grand soleil met un rubis !


Une tache de populace

Les brunit comme un sein d’hier ;

Le dos de ces Mains est la place

Qu’en baisa tout Révolté fier !


Elles ont pâli, merveilleuses,

Au grand soleil d’amour chargé,

Sur le bronze des mitrailleuses

À travers Paris insurgé !


Ah ! quelquefois, ô Mains sacrées,

À vos poings, Mains où tremblent nos

Lèvres jamais désenivrées,

Crie une chaîne aux clairs anneaux !


Et c’est un soubresaut étrange

Dans nos êtres, quand, quelquefois,

On veut vous déhâler, Mains d’ange,

En vous faisant saigner les doigts !

 

            La cinquième strophe, pour le moins énigmatique, a particulièrement retenu notre attention :

 

Mains chasseresses des diptères

Dont bombinent les bleuisons

Aurorales, vers les nectaires ?

Mains décanteuses de poisons ?

 

            Voici quelques éclaircissements lexicaux qui pourront, lectrices et lecteurs, soutenir vos essais d’interprétation :

La BELLADONE est une plante vénéneuse, comportant un poison toxique mais dotée aussi de vertus médicinales et hallucinogènes, utilisée par les sorcières au Moyen-Âge.

Le DIPTÈRE désigne un ordre d’insectes (« à deux ailes », en grec).

BOMBINER signifie  « bourdonner en tournoyant ». 

Le NECTAIRE est une glande produisant le nectar, à l’intérieur d’une fleur.

            Voici dans quels termes j’ai invité mes étudiantes et mes étudiants à explorer ces deux supports :

 

« Construisez un dispositif permettant de passer du tableau au poème ou du poème au tableau, de faire surgir une « histoire » (mais pas forcément linéaire ou narrative) dans l’intervalle, dans le battement entre deux images potentiellement fascinantes pour un lecteur-spectateur : les mains qui saignent de Jeanne-Marie et la « jungle de velours » de Monory.

« BLEU SANG «  est l’histoire que je vous raconte, mais prenez ce dispositif comme l’occasion de faire proliférer votre propre narration entre, autour de, à travers, etc… cette première narration, en vous appuyant sur les questions suivantes :

Qu’est-ce qui m’importe ? Qu’est-ce qui m’intéresse là-dedans et qui pourrait m’engager ? Comment dire « je », d’une manière certes indirecte, mais en faisant sentir et en défendant ce qui m’anime ?…

Il s’agira ainsi de traverser - plutôt que d’expliquer - le mystère du tableau de Monory en le mettant en écho avec des zones d’ombre, avec des zones énigmatiques du poème de Rimbaud, mais aussi, peut-être, avec la façon profondément singulière dont se dessine le corps, et tout particulièrement le corps féminin, comme sous la forme d’un puzzle, dans les autres pièces poétiques du jeune poète. »

            Neuf propositions sont nées de cette invitation. Elle sollicitaient différents médias et différents formats : composition musicale, propositions plastiques sous forme d’installation (multi-sensorielle ou participative), jeu d’enquête collaborative…. Je vous propose ici d’en découvrir une, particulièrement aboutie.

            Tout commence par une vision…


            Et celle-ci - fulgurante :



 

            Vous allez maintenant vivre de l’intérieur la naissance d’un tableau - au plus près des forces inconscientes, des sources obscures qui peuvent guider la main sur une toile blanche et faire surgir une image spéciale - fascinante et hypnotique. Comment, dans cette fiction, Velvet jungle n°10 a-t-il pris corps ? Et qui est cette femme peintre qui nous parle ?…

            Suivez ce lien pour accéder à GENIALLY :

https://view.genially.com/68383429d97b6ad6291c0075/interactive-content-bleu-sang

 


            Le jeu consiste à progresser de pièce en pièce, notamment en trouvant des mots de passe. Tous les mots de passe sont en MAJUSCULE et SANS ACCENT. Il faut mettre les espaces entre les mots. Ils donnent accès à des textes et à des vidéos.

            Dans la cinquième pièce, n’oubliez pas de cliquer sur le ROND qui se trouve en bas de la vidéo. Puis, quand vous aurez accédé à la toute dernière page, n’oubliez pas de cliquer sur les deux éléments interactifs qui se trouvent de part et d’autre du tableau Velvet jungle n°10.

 

            Je précise que, lorsque cette exploration a été proposée à la classe, le parcours virtuel se doublait d’un parcours géographique dans le lycée Louis Barthou, parcours qui nous a amenés dans les endroits suivants : le jardin potager, le Bibliothèque générale et la salle d’arts plastiques.

 

            Le parcours dure une quinzaine de minutes. La dernière étape donne des clés permettant d’élucider certains aspects des « visions » antérieures. Mais libre à vous de construire votre propre histoire et votre propre interprétation selon la manière dont les mots et les images vous auront affecté.e.s ! 

            Enfin, au cas où les mots de passe donneraient du fil à retordre à certain.e.s, je vous donne ci-dessous les solutions.

       

Bon voyage !

MOTS DE PASSE :

1) GUIGNE DE COTE

2) CERISE DU DIABLE

3) MORELLE FURIEUSE