25 novembre : Être femme en Amérique latine et ne pas mourir en essayant de l’être



Chapitre du Précis de Civilisation espagnole et ibéro-américaine, Claire Anzemberger et Carole Poux, ed. Ellipses (2020)
(traduit par les étudiants de CPGE ECG 1ère année)

Être femme en Amérique latine
et ne pas mourir en essayant de l’être

Données générales

Naître femme en Amérique latine devient un vrai défi, quand ce n’est pas un drame, pour les femmes en raison de multiples inégalités et violences dont elles souffrent quotidiennement. Malgré cette situation injuste et dangereuse, de nombreuses femmes latino-américaines ont réussi ou réussissent encore à faire entendre leur voix, soit seules, soit par le biais de collectifs. De « la Malinche » à Yoani Sanchez en passant par Rigoberta Menchu, des femmes qui parviennent à résister au nom de la liberté et des droits de l’Homme.

La Malinche est née sous le nom de Malinalli et comme fille d’un cacique féodal de l’empire aztèque, elle a reçu le traitement révérenciel, transformant ainsi son prénom en Malintzin (d'où le surnom la Malinche, résultat de la déformation phonétique castillane). La jeune Malinalli a accompagné Hernan Cortés tout au long de la conquête, était sa maîtresse et lui a ouvert les portes de l’empire mexicain. Elle a joué à ses côtés une fonction clé : celle d’interprète avec les populations indiennes grâce à sa langue maternelle, le « nahuatl». Elle a fini par se faire détester des siens pour les avoir trahis. On dit que Cortés lui avait promis de ne pas faire de mal à son peuple. C’est un personnage controversé car elle est aussi le symbole d’un Mexique moderne et métissé.


Les femmes dans la politique

Dans cette région, les femmes ont atteint et atteignent toujours des niveaux de pouvoir inconnus dans la plupart des pays d’Europe, malgré des droits restreints.
Plusieurs pays du sous-continent ont choisi des femmes comme dirigeantes. Ce fut le cas de Violeta Chamorro au Nicaragua (1990), ensuite de Mireya Moscoso au Panama (1999), suivie de Michelle Bachelet au Chili à deux reprises (2006-2010, 2014-2018), et de Cristina Fernandez de Kirchner en Argentine deux fois de suite (2007-2015), Laura Chinchilla au Costa Rica (2010-2014), Dilma Rousseff au Brésil (2011-2016), dont le second mandat a été interrompu suite à sa destitution pour corruption. Au Mexique, la candidate aux élections présidentielles de 2018, Maria de Jesus Patricio Martinez, cumulait, selon elle, deux inconvénients : être une femme et être indigène mais elle n’a pas hésité à défier les maux qui gangrènent son pays, entre autres la corruption, la violence et l’impunité. Avec cette phrase elle rappelle le rôle que joue, selon elle, un président : “Servir et non se servir, construire et non détruire, obéir et non commander, proposer et non imposer”. En Uruguay, Lucia Topolansky, épouse de Pepe Mujica (ex-président), a assumé en septembre 2017 la vice-présidence de son pays après la démission de Raúl Sendic, accusé de plusieurs scandales.
Il est vrai que beaucoup de ces femmes ont succédé à des dirigeants très populaires et du même parti. Tel fut le cas de Michelle Bachelet (qui a remplacé Ricardo Lagos), Dilma Rousseff (qui a continué le travail de Lula Da Silva), Laura Chichilla (qui a pris la relève d’Oscar Arias) et Cristina Fernandez de Kirchner (prolongement de son époux Néstor Kirchner). D’autres ont exercé le rôle de présidentes intérimaires pour différentes raisons : Isabel Martinez de Peron (1er juillet 1974-24 mars 1976) à la mort de son mari Juan Perón, ou Lidia Gueiler Tejada (1979-1980) en Bolivie qui succéda à Walter Guevara Arze, suite à un coup d’État.

Les femmes latino-américaines dans le secteur du travail et du social

Quand bien même le rôle des femmes dans la sphère politique est dû à une volonté de parité (14 pays d’Amérique latine et des Caraïbes ont des lois de quotas pour améliorer la participation des femmes aux postes d'élections par le peuple), l’augmentation de la représentation féminine dans le monde du travail peut s'expliquer par des progrès socio-économiques. Dans la plupart des pays du sous-continent, les femmes sont plus présentes que les hommes dans les universités. Cependant, il reste encore beaucoup à faire, notamment en termes de réformes ou de changements de mentalités qui permettraient d’assurer l’égalité des sexes et de pénaliser la discrimination. L’Organisation Internationale du Travail a déjà alerté à plusieurs reprises face à la brèche salariale entre les hommes et les femmes. Elles gagnent entre 60 et 90 % du revenu moyen des hommes. Sur leur lieu de travail, de nombreuses femmes sont harcelées par leurs collègues ou leur patron.
On estime que le pourcentage de femmes « chefs de famille » est passé de 22 % en 1990 à 31 % en 2008. En outre, les femmes de la région consacrent plus de temps que les hommes à des activités non rémunérées, caractéristiques du travail domestique : 86 % au Guatemala, 81 % au Costa Rica et 74 % au Mexique et en Uruguay, selon un rapport de la Banque mondiale de l’année 2014. L’écart de salaire et le plafond de verre sont les symptômes d’une société inégale en genre.
Tout au long de l’année 2018, de nombreuses femmes argentines et chiliennes sont descendues dans les rues ou ont paralysé des universités pour dénoncer ces inégalités ainsi que la violence sexiste et le harcèlement dont elles sont quotidiennement victimes. Les protestations en faveur de la dépénalisation de l’avortement en Argentine et la mobilisation étudiante au Chili ont marqué le début d’une vague de féminisme dans ces nations qui a été assombrie par l’assassinat de 3 femmes lors d’une manifestation féministe.

Quand l’union fait la force

Face aux abus des droits de l'Homme, différents groupes de femmes ont émergé pour les dénoncer et les éradiquer.
Les Mères de la Place de Mai : c'est une association argentine créée pendant la dictature de Jorge Rafael Videla (1976-1983), tout d’abord pour savoir où se trouvaient leurs fils détenus et disparus, et ensuite, pour établir quels ont été les responsables des assassinats de leurs enfants et engager les poursuites. Les Mères de la Place de Mai ont commencé à manifester sur cette place le samedi 30 avril 1977 et n’ont jamais cessé de le faire malgré le retour à la démocratie en 1983. Elles ont pour habitude de se réunir tous les jeudis à 15:30. Leur signe de reconnaissance : un mouchoir blanc sur la tête (initialement, il s’agissait de la couche de leurs enfants disparus ; puis ça a évolué) portant la date de naissance de leur proche disparu. Comme elles tournaient autour de la place sur ordre de la police, qui les empêchait de rester immobiles tout en manifestant, elles ont fini par être appelées « Les folles de la Place de Mai ».

Les grands-mères de la Place de Mai : c'est une association argentine dont le but est de localiser et restituer à leur famille légitime tous les enfants enlevés et disparus lors de la dictature militaire. Elle agit également pour que justice soit faite. Jusqu’en juin 2019, les grands-mères ont récupéré l’identité d'origine de 130 petits-enfants. La présidente de cette association, Estela de Carlotto, a récupéré son petit-fils Ignacio Montoya Carlotto en 2014. Il s'agissait du 114ème petit-enfant né en captivité 36 ans auparavant.

Les Dames en blanc : c'est un mouvement cubain qui réunit des épouses et des proches de prisonniers politiques cubains. Ce mouvement est né en 2003, après le dénommé Printemps Noir de Cuba. Elles sont appelées “Dames en blanc” parce qu’elles portent des vêtements blancs durant les manifestations.

Ni una menos (Pas une de moins) : tel est le slogan qui a donné son nom à un mouvement de protestation contre les violences faites aux femmes. Il est né en Argentine en 2015 du ras-le-bol des femmes face aux féminicides et aux violences faites aux femmes. La première manifestation baptisée “Ni Una Menos” s’est tenue le 3 juin 2015 dans quatre-vingts villes d’Argentine après l’assassinat d’une jeune fille de 14 ans par son petit ami. Le mouvement s’est étendu à d’autres pays de la région comme l’Uruguay, le Chili ou le Pérou (le président de l’époque, Pedro Pablo Kuczynski, a participé aux manifestations du 13 août 2016 où l'on exigeait la fin des violences machistes).

Des femmes qui sont sorties de l’anonymat grâce à leur engagement

De nombreuses femmes n’hésitent pas ou n’ont pas hésité à risquer leur vie pour défendre des causes comme la protection de la planète, la liberté d’expression ou la défense des populations indigènes, entre autres.

Doña Francisca Ramírez : cette leader paysanne est devenue le symbole de la lutte des agriculteurs et écologistes du Nicaragua contre la construction du canal interocéanique, à l’initiative du gouvernement de Daniel Ortega et mise entre les mains d'une entreprise chinoise. De l’argent lui a été proposé pour qu'il abandonne la bataille, mais jamais Ortega n’a accepté. Finalement, le canal n’a pas été construit.

Berta Cáceres : c'était une leader indigène du Honduras et activiste environnementale. En 2015, elle a obtenu le Prix Goldman, une récompense dénommée “Nobel Vert” décernée tous les ans aux défenseurs de la nature et de l’environnement. Elle a été assassinée le 3 mars 2016.

Estela de Carlotto : c’est une militante argentine des Droits de l'Homme et elle est présidente de l’association des grands-mères de la Place de Mai. Sa fille, Laura Estela Carlotto, a été enlevée et a disparu à Buenos Aires lorsqu'elle était enceinte. Elle a cherché son petit fils pendant près de 36 ans pour enfin le rencontrer en 2014.

Yoani Sanchez : c’est une journaliste cubaine connue pour son blog Generación Y, où elle fait une description critique de la réalité de l'île. En 2008, elle a remporté le prestigieux Prix du journalisme Ortega y Gasset et a été sélectionnée par le magazine Time parmi les 100 premières personnes les plus influentes du monde. Elle dénonce la violation des Droits de l'Homme de la part du régime castriste. Le 21 Mai 2014, Yoani Sanchez a publié pour la première fois 14ymedio, un journal numérique indépendant.

Tania Bruguera : artiste cubaine engagée, elle a été emprisonnée à plusieurs reprises en décembre 2014 et janvier 2015 pour avoir organisé une performance publique à la Havane. Elle a mis un micro et des hauts-parleurs sur la place de la Révolution pour que les Cubains puissent exprimer leurs sentiments à propos du dégel entre Cuba et les États-Unis.

Lilian Tintori : c’est l’épouse du prisonnier politique vénézuélien Leopoldo Lopez. Elle lutte activement pour sa libération.

Rigoberta Menchu : c’est une leader indigène guatémaltèque, défenseur des Droits de l'Homme qui a reçu le Prix Nobel de la Paix en 1992 et le Prix de Coopération Internationale Prince des Asturies en 1998. Elle est connue pour avoir dirigé les luttes sociales aussi bien au niveau national qu’international.

Pamela Montenegro : youtuber mexicaine assassinée par balles en février 2018 sur ordre d’un groupe criminel de l’état de Guerrero, Pamela Montenegro, plus connue sous le nom de « Nana Pelucas », avait une chaîne sur YouTube, el sillón TV, où elle publiait des critiques de personnalités politiques mexicaines, sous forme de satires.

Avorter en Amérique latine

La région possède quelques-unes des lois les plus strictes au monde en matière d’avortement, lois qui vont de l’interdiction totale de l’avortement au Salvador à des lois qui en limitent sévèrement la pratique et rendent difficile tout accès à ce droit. En 1990, on a fixé le 28 septembre comme la « Journée de la lutte pour la dépénalisation et la légalisation de l’avortement » en Amérique latine. Actuellement, cette lutte est plus que jamais d'actualité. Dans la région, depuis le début des années 2000, plusieurs femmes ont accédé à la présidence mais cela ne s’est pas traduit pour autant par une amélioration des conditions de vie des femmes. Selon l’Organisation mondiale de la santé, l’indice des avortements provoqués est supérieur à la moyenne mondiale et il est encore plus élevé dans les pays où il est pénalisé. Par ailleurs, on estime chaque année que l'Amérique latine abrite quatre millions d’avortements illégaux au cours desquels 4.000 femmes meurent. Cependant, les différents gouvernements (même ceux qui se disent progressistes) essaient de renforcer les liens avec l’église catholique.

C'est pourquoi la lutte pour ce droit démocratique élémentaire doit être associée au combat pour la séparation de cette institution et de l’Etat. Le premier pas en avant a été fait en novembre 2016 quand le pape François a annoncé que les prêtres catholiques pouvaient absoudre indéfiniment le péché de l’avortement. Le 19 février 2020, des milliers de femmes ont célébré la Journée de l’action verte pour le droit à l'avortement libre, sûr et gratuit, en Argentine et dans d’autres villes d’Amérique latine. À Buenos Aires, la manifestation massive a été accompagnée d’une intervention musicale devant le Parlement du collectif féministe chilien Las Tesis, connues dans le monde entier pour sa chanson de protestation contre la violence sexiste « Un violador en tu camino (un violeur sur ton chemin)». À l'exception de l'Argentine, de Cuba, du Mexique et de l'Uruguay, où il est légal, les pays de la région oscillent entre la dépénalisation dans certaines circonstances et l'interdiction absolue d'avorter (avec des peines de prison pour ceux qui le pratiquent).

Les pays ayant légalisé l’avortement

En Argentine il est prouvé que l’église a une influence active au cœur du débat sur l’application du droit à l’avortement et sur l’interruption volontaire de grossesse (IVG) : en 2014, le Vatican a même imposé  sa plume dans le Code civil. Au cœur de la dispute entre les secteurs conservateurs et ceux qui réclament la dépénalisation de l’avortement, en 2013 un nouveau protagoniste a fait irruption : le pape François, premier pape argentin et latino-américain de l’Histoire. Et sa figure comme élément dissuasif l’emporte sur toute discussion en matière d’avortement. La présidente sortante Cristina Fernandez de Kirchner n'a pas apporté son soutien à l’avortement et durant son mandat, la question fut rejetée cinq fois. Mauricio Macri avait prévenu qu’aucune avancée ne serait faite sous son gouvernement car, selon lui, on doit défendre la vie humaine. En mai 2018, une grande manifestation a été réalisée dans toute l’Argentine, pour convaincre la Chambre basse du Congrès de voter pour la légalisation de l’avortement, mais le Sénat a rejeté le projet de loi avec 38 voix contre et 31 voix pour ainsi que 2 abstentions. L’arrivée au pouvoir d’Alberto Fernandez en décembre 2019 a donné un élan, en mars 2020, à un nouveau projet de loi pour légaliser l’avortement. Pour la neuvième fois, le Congrès a voté à ce sujet et finalement, le 30 novembre de la même année, le Sénat a approuvé la légalisation de l’avortement, permettant l’interruption de grossesse jusqu’à la semaine 14. En dehors de ce délai, il ne sera possible d’avorter, qu'en cas de viol, de danger pour la vie ou la santé de la mère. Les mineures de moins de 13 ans, devront présenter un consentement éclairé et la présence d'au moins un des parents à leurs côtés sera obligatoire. De plus, les adolescentes entre 13 et 16 ans, devront se rendre à l’hôpital accompagnées.
Lorsque la Révolution a triomphé en 1959, Cuba est devenu l'un des rares pays d'Amérique latine où l'avortement a été une pratique légale. Leur accès a généré des inégalités sociales et économiques puisqu'un avortement sécurisé dans l'une des cliniques exclusivement privées de l'île ne pouvait être payé que par les femmes de la classe moyenne supérieure de Cuba. Pour cette raison, en 1965, le gouvernement cubain a instauré la pratique libre et gratuite de l'avortement pour toutes les femmes cubaines qui l'exigeaient et a établi légalement qu'il devait être pratiqué dans un établissement hospitalier et par des mains expertes. Le ministère de la Santé publique a immédiatement garanti des services d'avortement de haute qualité et en toute sécurité.
Dans la capitale Mexico, en 2007, on a décidé de légaliser l'avortement jusqu'à douze semaines de grossesse, à la demande de la femme, mais il est toujours interdit dans d'autres villes mexicaines par manque d'hygiène et de moyens médicaux.
En Uruguay, depuis la chute du régime militaire, entre 1985 et 2001, on a débattu plus de quatre projets autour de l'avortement, issus de la lutte des groupes féministes et de gauche. En 2003, on a rendu publique le nombre colossal d'avortements clandestins et, sous la pression de l'opinion publique, avant et après l'avortement, les femmes ont réussi à être accompagnées et conseillées dans tous les hôpitaux. En novembre 2008, le Sénat a voté un projet de loi visant à supprimer les sanctions à l'encontre des personnes pratiquant un avortement. Mais le président de l'époque, Tabaré Vazquez (2005-2010), y a ensuite opposé son veto, avec l'aval de la ministre de la Santé publique. En novembre 2012, l'avortement a été légalisé jusqu'à la 12ème semaine de gestation (ou 14 en cas de viol) sous la présidence de José Mujica, appartenant au même parti que Tabaré Vázquez (Frente Amplio). L'Uruguay est le pays d'Amérique latine où la Curie a le moins de poids, c'est un État laïque comme beaucoup d'autres, mais il compte le plus grand nombre d’athées. En 2013, des secteurs liés à la droite ont dû renoncer à leur tentative de référendum contre la loi, car ils n'ont pas pu remplir l'exigence de 25 % des listes électorales. Dans le pays, la légalisation de l'interruption volontaire de grossesse a permis de réduire considérablement la mortalité maternelle, plaçant l'Uruguay au deuxième rang des Amériques, après le Canada ayant les taux les plus bas.

Pays ayant dépénalisé l'avortement à certaines conditions

Il y a des pays qui ont dépénalisé l'avortement en deux ou trois circonstances, mais certains n'admettent l'avortement qu'à une seule condition : s'il y a un risque pour la santé et la vie de la mère.

Trois raisons pour lesquelles on peut avorter

Au Brésil, selon le Code pénal de 1940, l'avortement est illégal mais non punissable si la grossesse met en danger la vie de la femme ou s'il est le fruit d'un viol. En 2012, le Tribunal suprême fédéral (STF) a ajouté une troisième cause : lorsque le bébé n'a pas de cerveau, c'est-à-dire qu'il ne pourra pas vivre une fois né et qu'il n'est donc pas viable. Le sujet, tabou dans le pays catholique le plus peuplé du monde, est sorti au grand jour lors de l'élection présidentielle de Dilma Rousseff, manifestement punie par les électeurs religieux pour s’être prononcée par le passé en faveur de la dépénalisation de l’avortement. Au Brésil, pays aux inégalités marquées, l'avortement sécurisé reste à la merci du statut socio-économique de la femme. Et les plus vulnérables sont les femmes noires, âgées de moins de 14 ans et résidant à la périphérie du géant latino-américain. Et avec l'arrivée au pouvoir d'un président ultra-conservateur, Jair Bolsonaro, l'avortement est loin d'être légalisé.
En 1931, le Chili autorisait légalement l'avortement dit thérapeutique (autorisé pour des raisons médicales). Celle-ci a été annulée en 1989 pendant la dictature « civilo-militaire » dirigée par Augusto Pinochet, lorsque tout type d'avortement a été qualifié de « délit contre l'ordre de la famille et contre la moralité publique ». Depuis le retour à la démocratie en 1990, l'avortement est devenu l'un des plus grands combats des mouvements féministes mais il n'a pas pu être autorisé en raison de l'opposition de l'Église catholique et des groupes conservateurs de droite et de centre-gauche, malgré le fait que l’on estime entre 150 000 et 200 000 le nombre d’avortements clandestins par an dans le pays. Après avoir débattu de sa dépénalisation en cas d'infaisabilité fœtale, risque de mort de la mère et viol, Michelle Bachelet, soutenue par 83 % de la population, a fait approuver par le Congrès la dépénalisation de l'avortement au début de l'été 2017.
En Colombie, l'avortement est dépénalisé depuis son approbation par la Cour constitutionnelle en 2006 sous la présidence d'Alvaro Uribe. Il se limite à trois circonstances : lorsque la grossesse met en danger la santé physique ou mentale de la femme, ou sa vie ; lorsque la grossesse est le fruit d'un viol ou d'un inceste ou lorsqu'il existe des malformations du fœtus incompatibles avec une vie extra-utérine. Le débat a également été rouvert en 2020 devant la Cour constitutionnelle qui cherche alors à dépénaliser l'avortement avant les 16 semaines de gestation.
Au Costa Rica, la loi ne permet de sauver la vie de la mère que depuis 1970. En mai 2016, le président Guillermo Solis a défendu la réglementation de l'avortement thérapeutique devant le Vatican alors que 19 députés avaient demandé au Pape d'intervenir face à la volonté du Président d'étendre l'avortement dans plus de circonstances. Enfin, en décembre 2019, le gouvernement de Carlos Alvarado a réussi à dépénaliser l’avortement thérapeutique à trois conditions : qu’il n’y ait pas d’autre alternative, que la mère donne son consentement et que trois professionnels de la Santé le jugent nécessaire. Des partis politiques proches des églises chrétiennes reprochent au président d’avoir agi illégalement et de céder à l’avortement libre, interdit par la loi costaricienne.
Au Panama, il est possible d’avorter selon trois critères, selon le Code pénal de 1982 : si le produit de la conception présente des malformations génétiques qui l’empêchent de vivre une fois né ou lorsque la vie de la mère est en danger ou encore si la grossesse est le fruit d’un viol.

Deux raisons pour lesquelles on peut avorter

En Bolivie, depuis 1973, l’avortement est illégal, sauf pour prévenir des atteintes à la santé de la femme ou en cas de viol ou d’inceste. La peine est de 1 à 3 ans de prison pour la femme enceinte qui consent à l’opération et de 1 à 6 ans pour la personne qui réalisent l’avortement. Mais en mars 2017, le Parlement bolivien a proposé de dépénaliser l’avortement pour neuf motifs, dont quatre au cours des 8 premières semaines de gestation et cinq à tout moment de la grossesse. Si les nouvelles conditions son approuvées, les femmes sans ressources économiques ou en situation de précarité aurait également le droit d’avorter.
En Équateur, là où l’avortement est considéré comme un « délit contre l’existence naturelle » et dont le Code pénal punit les «lésions du fœtus », on a approuvé en janvier 2014 une nouvelle loi, qui dépénalise l’avortement quand la grossesse met en danger la vie de la femme ou lorsque c’est la conséquence du viol d’une femme qui souffre d’un handicap mental.

Une seule raison pour laquelle on peut avorter : s'il y a des risques pour la santé ou la vie de la mère

Au Guatemala, en septembre 2018, le Congrès a de nouveau débattu au sujet de la loi de protection de la vie et de la famille, projet du gouvernement de Jimmy Morales (2016- 2020) avec le soutien de l'Alliance évangélique. L'avortement est dépénalisé à la seule condition qu'il présenterait un risque pour la vie de la mère, mais la nouvelle loi prévoit des peines de prison allant de deux à quatre ans si la femme avorte. De plus, il interdit non seulement l'éducation à la diversité sexuelle mais aussi le mariage entre personnes du même sexe. En outre, il est prévu des amendes à celui qui coopérerait et des sanctions spécifiques pour les médecins et professionnels de santé impliqués. Avec l’arrivée au pouvoir d'Alejandro Giammattei début 2020, la situation est restée la même. Médecin de profession, il s’était déclaré contre l'avortement et a critiqué les présidents précédents qui n'ont pas condamné l'avortement par des peines de prison.
Différentes organisations telles que la Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) indiquent que le Paraguay affiche les taux de grossesse et de mortalité infantile les plus élevés dela région. En août 2016, le président de droite Horacio Cartes a alerté que l'avortement ne faisait pas partie des Droits de l'Homme et il a refusé de céder aux pressions des organismes internationaux tels que l'Organisation des états américains (OEA) et l’ONU. Bien que dans le pays, l'interruption de grossesse soit légale si elle menace la vie de la femme, le cas de la fillette de dix ans violée qui s'est vu refuser ce droit, s’est fait connaître dans le monde entier. Ce n'était qu'un épisode de plus de l'alliance historique entre l'Église catholique, le parti au pouvoir ANR-Colorado et les organisations anti-avortement contre les femmes.
Au Pérou, l'avortement est un délit inscrit dans le Code pénal. Il n'est dépénalisé qu’en cas de risque pour la vie de la mère. En 2014, le gouvernement du président de l'époque, Ollanta Humala, a rendu publique un "protocole" pour des cas d'avortement thérapeutique. Le 24 novembre 2015, le Congrès du Pérou a définitivement rejeté sa dépénalisation en cas de viol mais, sous la présidence de Pedro Pablo Kuczynski, le 12 octobre 2016, devant le Congrès, on a présenté un projet de loi pour dépénaliser l’avortement en cas de viol ou de malformation fœtale « incompatible avec la vie ». Mais le projet n’a pas abouti.
Au Venezuela, l'avortement est illégal sauf lorsqu'il présente des risques pour la vie ou la santé de la mère. Sinon, la femme qui avorte intentionnellement, en le faisant d'elle-même ou en le faisant faire par un tiers, avec son consentement, sera puni d'un emprisonnement de 6 mois à 2 ans. En 2006 et 2014, l'ONU a demandé au Venezuela d'étendre la loi sur l'avortement pour éviter la mort de jeunes et d'accepter des exceptions supplémentaires au cas où la grossesse serait le fruit d'un viol ou de l’inceste, mettant la santé de l'adolescente en danger et évitant la pratique d'un avortement à risque. Mais ce fut peine perdue.

Pays qui interdisent l’avortement

Dans quatre pays d’Amérique latine, trois d’Amérique centrale et un des Caraïbes, non seulement l'avortement est illégal dans tous les cas, mais les femmes sont condamnées à des peines allant jusqu'à plus de 30 ans de prison pour avoir réalisé cette pratique. Dans ces États, l'interruption de grossesse n'est même pas envisagée en cas de danger pour la vie de la mère. Ces pays partagent certains points communs : ce sont des pays appauvris et présentant de grandes inégalités, ils sont au bas de l'échelle de démocratie dans la région et il y a une énorme prédominance de la religion chrétienne. Curieusement, dans le passé, il y a eu des cas où aucune peine de prison n'a été infligée mais l'avancée de secteurs plus conservateurs alliés à la hiérarchie ecclésiastique ont peu à peu encore plus limité ce droit.
La République dominicaine est l'un des pays de la région avec le taux de mortalité des femmes le plus élevé lié à la grossesse, à l'accouchement et à la maternité post-partum. Selon le ministère de la Santé publique du pays, les avortements à risque sont à l'origine de 10 % des décès maternels dans le pays. Pourtant, en juin 2017, le président précédent, Danilo Medina (2012-2020) était favorable à une loi de circonstances comparable à celle de la plupart des pays d'Amérique latine mais il s'est heurté à l'opposition de l'Église catholique et du Sénat, dont il a rejeté pour la deuxième fois les observations du pouvoir exécutif face au Code pénal. L'avortement continue d'être puni de peines allant de deux à trois ans de prison et inclut la femme qui le provoquerait ou toute personne qui l'aiderait.
Au Salvador, après une modification du code pénal en 1988, l’avortement est resté interdit même quand la grossesse est due à un viol ou que la vie de la femme est en danger, établissant ainsi dans le pays les peines les plus importantes au monde. En 2011, s’est déroulé le procès de Maria Teresa Rivera, condamnée à plus de 40 ans de prison pour homicide aggravé. Seule l’aide internationale a obtenu sa libération. Un autre cas a été la sentence polémique de 30 ans de prison pour Evelyn Hernandez, la jeune femme qui a donné naissance à un bébé mort après s’être fait violer par un membre d'un gang. En août 2018, après avoir purgé deux ans de prison, la justice salvadorienne l’a acquitté de sa peine. Un cas similaire s’est produit en 2014, lorsque Cindy Erazo a donné naissance à un fœtus mort dans un centre commercial de San Salvador : elle a immédiatement été arrêtée et condamnée à 30 ans de prison pour homicide aggravé. Après avoir fait appel, sa peine a été réduite de 10 ans par le tribunal et finalement, 6 ans plus tard, elle a été acquittée. Actuellement, plus de 18 femmes sont en prison pour avoir avorté.
Au Honduras, le code pénal inclut l’avortement dans les délits contre la vie et depuis 2001, il est puni de 5 ans de prison ferme. Même dans le cas où l’avortement a lieu car la femme risque sa vie, elle doit avoir l’accord de son conjoint ou d’un parent proche.
Au Nicaragua, avec 52 voix pour et aucune contre, à la veille de l’élection présidentielle en novembre 2006, l’avortement thérapeutique, en vigueur dans l’article 165 du code pénal adopté en 1975, a été supprimé. Depuis 1837, le Nicaragua avait établi pour la première fois l’avortement comme étant une raison médicale pour sauver la vie de la mère.

En fin de compte, l’Amérique Latine est seulement comparable à l’Afrique et le Moyen-Orient, puisque 97 % des femmes de la région vivent dans des pays où l’IVG est sévèrement réprimée par la loi. De plus, le 23 octobre 2020, le Consensus de Genève a été signé avec 32 pays du monde, y compris le Brésil.

Des femmes maltraitées

Le rapport 2016/2017 d’Amnesty International a révélé que dans la région, chaque jour, 12 femmes et filles étaient assassinées pour des questions de genre et que la plupart de ces crimes restait impunie. C’est au Mexique que, pour la première fois, le terme de « féminicide » qui remonte à 1976 a été intégré aux lois de l’État pour faire référence aux femmes de Ciudad Juarez (état de Chihuahua), torturées et violées avant d’être assassinées. Le phénomène remonte au moins à janvier 1993. Deux facteurs expliquent l’augmentation drastique de l’activité criminelle, ainsi que la croissance démographique dans cette ville : l’essor des maquiladoras et la mise en place de l’Accord de libre échange nord-américain (ALENA). Signé en 1994, ce dernier a transformé Ciudad Juarez en un pôle attractif pour le commerce international et pour de nombreuses familles à la recherche de meilleures opportunités d’emploi, plus favorables économiquement parlant. Aux environs de 2005, les autorités l'ont plutôt attribué aux recherches des réseaux de trafic de drogue, qui sont actuellement les principales causes de meurtres dans la ville, ainsi que dans le reste du Mexique. En général, les victimes sont habituellement des jeunes femmes et des adolescentes entre 15 et 25 ans, avec peu de moyens et qui ont dû abandonner leurs études secondaires pour commencer à travailler dès que possible. Face au drame, la société a reproché aux autorités locales et nationales leur passivité car dans de nombreux cas, les délits n'ont pas été tirés au clair et sont restés impunis. La Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme a fini par considérer l’État mexicain comme l’un des principaux responsables de ces événements, c’est pourquoi plusieurs organisations non gouvernementales soutiennent les mères et les proches victimes de féminicide comme Casa Amiga (Maison Amie), Nuestras Hijas de Regreso a Casa (Nos filles de retour à la maison), Justicia para Nuestras Hijas (Justice pour nos filles), Red Mesa de Mujeres de Ciudad Juárez (Table ronde de femmes de Ciudad Juarez), entre autres.

Le 25 Novembre, on célèbre la journée internationale de la non-violence à l’égard des femmes pour sensibiliser sur ce que les militants qualifient de « génocide silencieux », qui rend victime la moitié de l’humanité. Pour donner de la visibilité aux cas de violences brutales et imposer des politiques qui mettent fin aux agressions systématiques faites aux femmes. D'ailleurs, au cours de ces cinq dernières années, le féminicide est peu à peu incorporé au code pénal des pays latino-américains, comme c’est déjà le cas du Costa-Rica, Chili, Guatemala, Salvador et Mexique. Cependant, les résultats ne sont pas encourageants. L’un des pays pionniers a été le Guatemala où des organisations internationales mettent en garde contre une épidémie d’assassinats en raison des inégalités de genre. La plupart des agresseurs au Guatemala sont reconnus coupables d’homicide aggravé, car il est difficile de prouver le féminicide : cela entraîne les démonstrations d’inégalités de pouvoir, la misogynie et la haine entre les sexes.
    Comment explique-t-on, malgré les lois contre la violence, que dans tous les pays, il y ait toujours autant de femmes maltraitées, voire défigurées et poignardées, tuées par balle ou brulées vives par l’alcool ?
     Évidemment, les lois, bien que nécessaires, ne sont pas la seule réponse aux problèmes. Les États ne peuvent rester indifférents et passifs face à cette forme grave de violence et il existe une peine assez homogène dans la région, mais il y a des dettes impayées qui ne passent pas au niveau règlementaire. Pour lutter, il faut une meilleure information et des statistiques sur la violence. Aujourd’hui, à l’exception de quelques pays, la plupart des registres de féminicides tombent sous la responsabilité d’organisations de femmes qui recueillent les cas publiés dans des journaux. L’État doit également garantir aux femmes l’accès à la justice. Au Salvador, des commissariats pour les femmes ont été créés par des femmes pour que les victimes n’hésitent pas à dénoncer les maltraitances.